J’ai rarement rencontré quelqu'un d'aussi passionné que Benjamin, c'est d'ailleurs pourquoi cette interview n'est pas retranscrite exhaustivement car notre échange a duré plus de 3 heures. Je l'ai contacté via Facebook et il a très rapidement et gentiment accepté que l'on se rencontre.
Cet échange avec Benjamin m'a fait découvrir la recette qui lui a permis d'ouvrir un des plus grand (si ce n'est le plus grand) restaurant gastronomique du Vietnam, à savoir beaucoup de passion, une envie d'aventure et beaucoup de partage.
Âge: 38 ans
Lieu de naissance: Ile de France
Lieu de vie: Hanoï
Activité: Fondateur et Chef du restaurant gastronomique "La Badiane" à Hanoï
Hobbies : Musique, voyages, boxe, MMA
Métier rêvé pendant l'enfance: Chanteur
Peux-tu te présenter ? Ainsi que ton parcours ?
Je m'appelle Benjamin Rascalou. J'ai arrêté l'école à 15 ans puisque ça ne m’intéressait pas trop et après je ne savais pas trop quoi faire. Je pensais à des choses comme coiffeur mais finalement la cuisine semblait offrir des opportunités plus variés. Mon père m'a dit "cuisinier c'est bien, puisque même si un jour les gens mangent des pilules, il y aura toujours des personnes qui auront envie de bien manger, et en travaillant bien tu pourras même évoluer et avoir ton propre restaurant". Donc j'ai 1 an de pré apprentissage puis 2 ans d' apprentissage en CAP cuisine et le métier m'a plu, et la cuisine a réellement fini par faire partie de toi. J'ai commencé en bas de l'échelle et j'ai rapidement compris que meilleur tu es et moins on t'embête. J'ai donc commencé à vouloir faire les choses au plus juste pour ne pas me tromper, et évoluer. J'ai travaillé dans de nombreuses grandes cuisines en France, où j'ai appris énormément auprès de plusieurs chefs, dont un en particulier qui est en quelque sorte devenu mon "mentor" et petit à petit, comme je travaillais bien, je suis monté en grade.
Peux-tu nous en dire plus sur la cuisine et sur ta cuisine en particulier ?
Aujourd'hui, je me rends compte qu'il faut relativiser l'impact de la gastronomie française sur le monde. Puisque cette cuisine rayonne dans le monde, mais dans les faits on reste tout petit dans le monde en termes d'habitudes de consommation. On est un peu comme ZAZ dans la culture française, il y a moins bon, il y a meilleur, mais pour nous apprécier, il faut nous connaitre, il faut connaître notre histoire et savoir qu'on « chante » avec le cœur.
J'ai travaillé et voyagé dans beaucoup d'endroits à travers le monde, c'est pourquoi aujourd'hui dans mes créations on retrouve énormément de cultures différentes. Je crée en combinant et en fusionnant des saveurs différentes et qui ne sont pas issues de la même culture. C'est pourquoi on peut qualifier mon travail de "Fusion food". Je travaille par exemple beaucoup avec des plats français en les associant avec des épices et des saveurs vietnamiennes ou autres.
Concernant mes créations, je n'ai aucune recette, je n'aime vraiment pas écrire. Tout reste dans ma tête même si c'est dommage car je sais que c'est une belle bibliothèque que je n'ai pas archivée. Mais je pense aussi que cela amène une beauté dans l'éphémère car cette recette a vécu pendant le moment où je l'ai faite. Et malgré tout, cette recette restera dans le souvenir de mon staff qui l'a préparé ainsi que dans le souvenir des personnes qui l'ont dégusté.
Finalement, quand les gens viennent dans mon établissement j'ai envie de les rendre heureux, de faire plaisir. Je n’ai jamais été trop en recherche de médailles, confréries, étoiles, etc... Moi ma gloire c'est quand des clients viennent me voir en me disant "on a mangé dans de nombreux gastronomiques en Europe et on n’a jamais aussi bien mangé que chez vous".
Comment se passe le management avec ton staff ?
Je partage beaucoup avec mon équipe. Je donne de l'importance à mes employés, il y a un des aspects professionnels que je veux leurs transmettre, mais il y a aussi beaucoup d'affectif.
Pour moi c'est une victoire de pouvoir transmettre. Je dis toujours à mon staff que tout ce que je fais, s’ils veulent, ils pourront apprendre à le faire s’ils ont l'envie. Même s’il peut m'arriver d'être dur c'est pour leur bien et qu'ils soient meilleurs. Et quand quelques-uns « quittent le nid » pour travailler ailleurs à des fonctions importantes, je suis toujours heureux de retrouver dans leurs créations des choses que j'ai pu leur apprendre.
Je leur dis souvent qu'il ne faut pas "faire la cuisine" mais qu’il faut "cuisiner". Pour moi si on apprend à "cuisiner", on n’a pas besoin de "faire la cuisine". La cuisine est quelque chose de créatif et quelque chose dans lequel on est impliqué.
D'ailleurs, j'ai la chance d'avoir un espace de création assez libre aujourd'hui. Plus mes équipes sont efficaces et comprennent comment cuisiner, plus moi ça me laisse de la marge de manœuvre pour essayer des choses plus ambitieuses.
Même si je peux être parfois assez droit, il faut être compréhensif. En France quand on embauche quelqu'un en cuisine il a un diplôme et est formé, ici il faut comprendre que ça ne fonctionne pas comme cela. D'ailleurs c'est une des premières choses que je dis à mon staff, il faut apprendre à demander. Quand on demande de couper 10 kg de concombre ce n'est pas après qu'il faut demander si c'était bien comme ça qu'il fallait le faire. Et c'est tout à fait normal de ne pas savoir, on est dans un pays où il y a 10 ans personne ne savait ce qu'était une fourchette et un couteau.
Concernant l'organisation en elle-même, je laisse au staff deux jours de repos par semaine, contre un seul normalement au Vietnam. Le restaurant ferme tous les dimanches pour que tout le monde puisse avoir ce jour pour lui, pour ses enfants, pour sa famille. Plus jeune, j'ai travaillé tous les dimanches, et tout ce qui ne m'a pas plu quand j'ai été employé, j’ai à cœur de ne pas le reproduire.
Aujourd'hui, j'essaye de faire en sorte que le restaurant puisse tourner sans que je sois nécessairement présent. J'essaye d'amener les plus expérimentés à encadrer les nouveaux.
Maintenant, quand je n'élabore pas de recettes, je suis en cuisine, j'observe et je supervise, je m'assure que tout se passe bien. Je veille à l'équilibre, à la solidarité et la cohésion de l'équipe.
Que penses-tu du Vietnam et de l’entrepreneuriat ici ?
Le Vietnam est un pays où l'on profite d'une liberté très importante et où l'on peut être très heureux. Après, chacun a ses besoins et le mode de vie qui lui correspond, mais personnellement le Vietnam me convient très bien.
Le Vietnam rattrape 50 ans de développement en quelques années donc il y a beaucoup d'opportunités dans les grandes villes comme Hanoï ou Ho Chi Minh. Mais aussi dans des villes en fort développement comme Da Nang.
C'est un pays qui a envie de laisser entrer des compétences extérieures. Ici, si on a les compétences requises, on peut prétendre à un emploi quelle que soit sa nationalité. Mais par exemple ici sans diplôme en cuisine on ne te laissera pas ouvrir un restaurant.
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